(il s'agit d'un ancien article écrit par votre serviteur fin mars 2006)
Le soi-disant leader mondial du nucléaire vient d’annoncer ses résultats financiers et la bonne tenue du groupe à l’étranger… mais il est sur le point de perdre le marché chinois. Cet échec imminent remet en cause en profondeur le « système Areva ».
Les résultats d’Areva pour 2005 sont tombés au début du mois de mars. Le groupe français spécialisé dans le nucléaire affiche un bilan financier « à nouveau en progression ». L’avenir s’ouvre radieusement devant lui, est-on tenté de croire, surtout lorsque la charismatique présidente du directoire vante les réussites de son groupe : «
Nos activités nucléaires récurrentes poursuivent leur progression et confortent notre position de leader en Europe et aux Etats-Unis ». Mais c’était sans compter les rumeurs qui voient le leader mondial du nucléaire battu par les américains sur le marché chinois. Or, la stratégie d’Anne Lauvergeon reposait essentiellement sur ce créneau. Pourquoi ? La foi d’Anne Lauvergeon
A trois mois de la remise en ballottage de son mandat de présidente du directoire, elle comptait énormément sur un succès pour renforcer sa place. Le marché du nucléaire chinois offrait en effet de belles perspectives. Anne Lauvergeon tient en effet du vice-premier ministre de la république populaire de Chine, Zeng Peiyan, venu en France en juin 2004, une confidence importante : la Chine se doterait non pas de 40 centrales nucléaires, mais de 400 pour faire face à la demande en électricité de ses habitants, a-t-on appris de source interne au groupe. Le chiffre, certes énorme, ne surprend pas les spécialistes. Un récent rapport de Capgemini pour le compte d’EDF et de China Electricity Council indiquait que la Chine souffrirait d’un déficit de 280 gigawatts en 2020.
Une absence de perspectives commerciales…
L’échec annoncé d’Areva à Pekin est révélateur de la situation très floue dans laquelle marine Areva aujourd’hui. Commençons par le secteur des mines, le groupe étale son ambition de devenir leader dans le minerai d’uranium. Mais avant d’être confronté à d’éventuels concurrents, le groupe affronte surtout son impuissance à mobiliser des liquidités, notamment à cause du refus du gouvernement de privatiser Areva. Le chantier est pourtant en marche depuis la création du groupe en 2001 et Anne Lauvergeon s’y est largement employé sous les gouvernements successifs. Les salariés ont déjà reçu une première sensibilisation à l’actionnariat et on rêvait déjà de stock options chez les cadres dirigeants.
Du côté de la construction des réacteurs, c’est différent : il n’y a pas de stratégie industrielle. Une modernisation de l'usine de Châlon-Saint-Marcel est bien prévue, mais sans véritable investissement dans un outil performant. Au lieu de cela, Areva continue à sous-traiter aux japonais, et à Mitsubishi en l'occurrence, la réalisation des cuves de réacteurs. Ce sera le cas pour le réacteur finlandais, pour l’EPR de Flamanville et pour les EPR américains si Areva décroche le contrat.
Cette absence de vision à long terme se répète également dans le retraitement, où EDF continue à entretenir la Hague depuis près de quarante ans. Les deux usines actuelles n’ont que peu ou prou de contrats étrangers, ils servent à dilapider la technologie et le savoir-faire aux concurrents japonais et anglais. Le challenge d’Areva – pour ne pas dire le défi - consiste à faire durer le plus longtemps possible l’activité de ses usines.
La dernière branche concerne la fabrication du combustible Mox au Tricastin. Là encore le constat est morose et la compétitivité va être plombée par la hausse des prix de l’électricité que lui revend EDF. Les Russes sont heureusement fidèles au poste pour ré-enrichir l’uranium tiré du retraitement.
…et une sclérose orchestrée par les américains
La situation d’Areva serait plus confortable aujourd’hui si le marché américain montrait en contre-partie des perspectives réjouissantes. Force est de constater on en est loin. Malgré une branche logistique relativement active, Areva vient de subir un échec retentissant en étant expulsé du chantier Yucca Mountain, où les américains comptaient enterrer leurs déchets nucléaires américains.
Titubant, le groupe rassemble ses forces pour percer dans le Mox et construire une usine. On peut s’interroger sur la stratégie d’Anne Lauvergeon. Est-elle assez naïve pour croire que la branche américaine d’Areva restera dans son giron ? Si Bush confirme son impulsion dans le nucléaire, un concurrent sera subventionné ou on coulera Areva Inc. à force de procédures judiciaires kafkaïennes. Le groupe français le sait puisqu’il a vécu une expérience douloureuse lors du rachat d’un concurrent américain. La branche métrologie d’Areva, Eurisys Mesures, se mord encore les doigts d’avoir racheté Canberra. Celle-ci a pris l’ascendant sur les français au point de verrouiller tous les postes-clés… et de changer son nom !
Cet exemple est révélateur des problèmes internes chez Areva et dans ce contexte difficile, un rapprochement entre Areva et Alstom, bien que commanditées par les banques et BNP Paribas en tête, ne perd plus tout son sens. Surtout si cela permet la constitution d’un vrai leader industriel aux épaules larges. Les deux groupes sont d'ailleurs engagés au niveau européen et travaillent main dans la main avec des firmes allemandes. Pourtant, avant de croire à une alliance franco-germanique, regardons en France. Si le mariage entre GDF et Suez est consommé, la porte va s’ouvrir en grand pour créer une entente entre EDF, Areva et Alstom.