mercredi, juillet 11, 2012

Procès Kerviel : un révélateur de notre société actuelle


(ou la banque, la juge, le patron et le trader - version 1)

La révision du procès Kerviel nous montre à quel point la société française s'est transformée, comment les valeurs qui régissaient le vivre-ensemble jusqu'il y a quelques années, quelques décennies (avant Giscard ?) ont été bafouées et jetées aux oubliettes, comment une fracture s'est solidement ancrée entre les populations, comment une autre ère, celle de l'injustice sociale s'est ouverte et généralisée.

Ce procès et la révision qui le suivit furent une mascarade pendant laquelle la juge, Mireille Filippini, a joué un rôle de maîtresse d'école (de cour... de récré) où elle a invectivé à longueur de temps l'avocat de la Défense, malmené Jérôme Kerviel. Soit. Elle a choisi son rôle. Mais pourquoi s'auto-proclamer trader et se placer au niveau de JK ? N'aurait-elle pas dû se placer au niveau d'un directeur de banque, avoir du recul par rapport à l'activité de trading, donner le cap et regarder l'étendue des responsabilités qui incombe à pareil poste ? Non, la Juge a choisi de voir par les yeux de Kerviel, non par les yeux du système défaillant de la banque, de voir par les yeux de l'individu, non par l'organisation.

Si le second verdict confirme la condamnation de la première instance de JK, le voile sera levé et la réussite du Patronat français ne pourra plus être cachée. Les salariés n'auront plus qu'à trembler.

Car qu'est-ce que signifiera la condamnation de Kerviel ?
1) Le salarié est plus responsable que le patron
Cette condamnation va en premier lieu désigner coupable un salarié qui agissait au nom de l'entreprise sans que son Patron ne soit inquiété. Autrement dit, la Justice reconnaîtra pleinement la faute d'un salarié qui ne touchait aucun profit de son travail.
Kerviel a sans doute fait du zèle, mais il y avait des contrôles, et plus de 70 alertes sur ses positions ont pas été émises par des régulateurs et autres partenaires financiers. La hiérarchie n'a soit disant rien vu. N'était-ce pourtant pas de son ressort de mettre en place des systèmes de contrôle efficients et performants ?
La réponse de la Justice fut effrayante en première instance : la Société Générale a été condamnée à 4 millions d'euros (seulement !) pour manque de contrôle sur ses activités de trading. Traduction : la banque n'est pas (ou à peine) responsable.
En interne, la Soc Gen a viré le supérieur de JK pour incompétence professionnelle (pratique : on se débarrasse du maillon entre JK et la haute hiérarchie) et Daniel Bouton, l'ancien Directeur, a été prié de partir en retraite avec un joli parachute doré (plus de tête = plus de responsable = on a lavé du sol au plafond, la Soc Gen est désormais plus blanc que blanc !).

2) Le salarié est responsable pour toute une organisation
Cette condamnation montrera également que la chaîne de responsabilité s'est inversée.
On le sait aujourd'hui, le travail ne vaut rien. L'ère capitalistique qui cherche à jouer en bourse sur n'importe quelle valeur (ainsi celles ubuesques de l'air, de la terre, de l'eau, du CO2...) entraîne un corollaire : la décôte de toute valeur cotée. Dans ce système où les sièges sont éjectables, où la vision à court terme l'emporte sur le Développement Durable de l'entreprise, les patrons ont pris le pli de suivre coûte que coûte les actionnaires. Un patron aujourd'hui ne réfléchit pas, il exécute ce qui est décidé au-dessus. Il ne pense plus la stratégie, ne concocte plus des plans d'actions, n'imagine rien pour son entreprise. Le capitalisme l'a dé-saisi. Le patron ne s'emploie plus qu'à une seule chose : faire juter sa structure. Le patron n'est-il plus qu'un salarié comme les autres ?
Il l'est même moins que les autres, c'est ce que le procès Kerviel tend à montrer.
Le Conseil d'Administration de la Banque, voire la Banque Centrale de France, ont officiellement remercié le Directeur pour son travail. Bouton est reparti avec un beau chèque. Les mêmes ont par contre désigné Kerviel comme LA nuisance, comme l'individu devant porter la responsabilité de la faute d'une organisation. Kerviel était à leurs yeux davantage responsable qu'un Bouton venu témoigner au procès en bras de chemise et bronzé par ses voyages de retraité (quels étaient pourtant leurs salaires annuels respectifs ?).
La Justice s'est révélée alors une excellente alliée du système puisqu'elle a condamné JK, entérinant cette inversion de la chaîne de responsabilité.

3) Le salarié est responsable du travail effectué par d'autres
La condamnation de JK au premier procès à verser 4,9 milliards d'euros va même plus loin dans le paradoxal.
En 2007, Kerviel engrange 1,7 milliards d'euros (!) de bénéfices. Cette somme, représentant une part non négligeable des bénéfices de la Soc Gen, n'est bien sûr pas crédité sur le compte chèque de Kerviel. Il ne touche évidemment que son salaire pour son travail de trader.
Malgré cette réussite, son supérieur hiérarchique N+5 ne le connaît pas (alors que dire du personnel anonyme des agences, ces N-30 qui arpentent le terrain ?) confirmant les dysfonctionnements internes : la Soc Gen est incapable de savoir d'où vient l'argent qui circule en son sein et de quantifier le fruit du travail de ses traders qui sont peu nombreux tout en relevant d'une activité ô combien sensible.
En 2008 lorsque l'affaire éclate, Kerviel est tout à coup connu, désigné et accusé. Et ses 50 milliards d'euros de positions sont soldées. Ce n'est pas lui qui vendra les titres, mais un (ou deux, la controverse est lancée) trader(s) réquisitionné(s) à la demande de la Soc Gen et de la Banque de France. La Soc Gen a-t-elle profité de la crise interne pour solder ces positions sur les subprimes ? Ce qui a été demandé à ce(s) trader(s) est-il vérifiable ? Ses ventes peuvent-elles être contrôlées, analysées à la minute près ? Je n'ai pas l'impression que le procès ait porté sur ce point. La Justice est-elle au clair sur ces opérations ?
En tout cas, Kerviel n'a plus touché aux 50 milliards d'euros d'actions qu'il a placé. Gageons que s'il avait vendu lui-même ces actions, il aurait sans doute évité pareille déconvenue. Et si cela était arrivé dans une situation normale, dans une banque normale avec des gens normaux, des patrons responsables et dans une société dont les valeurs ne se sont amoindries ? La banque aurait accusé le coup collectivement, de la base au sommet. On aurait enregistré les pertes, les actionnaires n'auraient pas eu de dividendes et on en serait resté là.
Ce n'est pas ce qui s'est passé. A la place, un doigt vengeur (piloté par les actionnaires ?) a cherché un coupable à tout prix dans l'organisation. Il en fallait un. Jérôme Kerviel. Celui qui devait presque 5 milliards.
Et la Justice a suivit, incriminé JK comme unique responsable de cette perte. Elle l'oblige aujourd'hui à rembourser à la banque ce montant pharaonique à l'échelle humaine.


La révision du procès Kerviel n'a rien changé et je crains qu'elle n'arrive à la même conclusion qu'au premier procès. Pourquoi ?
Tout est affaire de valeur et dans notre société ces dernières ne sont plus ce qu'elles étaient. C'est que le système capitaliste, l'élite française et le Patronat ont réussi à modifier les valeurs sur lesquelles repose la République.
Ainsi, le capitaliste - cette perpétuelle recherche d'argent - est vanté comme le summum de la création humaine et l'aboutissement de toute société. La société se définit comme marchande : tout s'achète et tout se vend. Et ceux qui refuse ce fonctionnement sont des arriérés mentaux (cf. Le mythe de la Décroissance et ses bougies), peu importe le nombre de citoyens qu'il laisse vivre dans des conditions précaires, les inégalités de revenus accrues (de 1 à 400 pour le salaire le plus élevé) et les magouilles financières auxquelles se livrent les nantis. Ils accuseront toujours les petits porteurs - monsieur et madame tout-le-monde, selon eux – d'être à l'origine de la spéculation négative, des fonds de pension, etc.
Au nom de leur contribution à l'économie, les Patrons sont désormais intouchables, dégagés de toute responsabilité et non justiciables. Les salariés portent tout, sont exploités, doivent rendre des comptes et se taire. On le voit dans l'affaire Kerviel, aux yeux de la Justice, ce sont eux les vrais responsables des erreurs, des fautes et des échecs des dirigeants.
Si la société est incapable de se regarder en face, de se remettre en cause (la crise des subprimes le montre également puisque les politiques ont préféré endetté massivement les populations plutôt que d'évincer les banquiers responsables de la crise de leur fonction), la recherche d'un bouc émissaire est bien plus aisée.
Surtout les puissants ont davantage raison et se soutiennent entre eux comparé au petit personnel, les salariés, divisés et soumis à la peur sur leur écran plat, dont l'avenir se teinte de noir sous prétexte que le travail se fait plus rare.
Laurence Parisot peut se frotter les mains, les patrons peuvent continuer à dormir sur leurs deux oreilles, les banques centrales régulent le taux de chômage et la Justice est à leur côté pour mâter les salariés. Dans cette société, les inégalités sociales ne font et ne feront que croître.

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